La distribution au temps du Coronavirus et après

Foire aux questions sur divers sujets en matière de distribution

La crise due au coronavirus domine depuis plusieurs semaines l’actualité dans le monde. Ici ou là, le choc initial a fait place à des mesures d’urgence de la part des entreprises. Les premiers effets de ces mesures sont perceptibles.

Bien entendu, la situation que nous traversons actuellement soulève de nombreuses questions juridiques. Elle montre aussi clairement les entreprises où le « Legal Engineering » du réseau de distribution est pleinement intégré dans la gestion des risques ou celles pour lesquelles il ne s’agit que d’une façade. On peut aussi se rendre compte à quel point l’organisation légale repose sur des fondations solides et tient le choc.

Les experts nous ont expliqué comment régler des thèmes juridiques généraux comme le travail à temps partiel, l’appel aux crédits-relais de l’Etat, la protection de la santé par le télétravail et d’autres mesures de droit du travail qu’impose le Covid-19. Notre foire aux questions n’aborde volontairement pas ces thématiques. Nous renvoyons sur ces sujets au site internet www.seco-admin.ch qui donne une vue d’ensemble de ces questions.

Dans la présente contribution, nous nous proposons de survoler les principaux thèmes juridiques en matière de systèmes de distribution.

Cette foire aux questions doit en premier lieu mettre en exergue les aspects essentiels et les réflexions que suscite la situation actuelle. Il ne s’agit nullement d’un conseil juridique et chaque cas particulier doit être examiné individuellement. En revanche, cette contribution pourrait favoriser l’échange et susciter quelques réflexions stratégiques. Au surplus, il sied de relever que nous nous trouvons dans la phase initiale de la pandémie du Covid-19, et donc que la vue d’ensemble fait défaut actuellement, de sorte que de nombreuses questions sont encore en suspens et n’ont bien entendu pas fait l’objet de décisions judiciaires. Il faut s’attendre en effet qu’à l’avenir des jugements soient rendus qui ne seront pas nécessairement en ligne avec les réflexions formulées ci-après.

 

Quels sont les thèmes juridiques qui peuvent être concernés ?

La variété de sujets est immense. Ci-après nous allons nous pencher sur les questions suivantes :

  • les relations commerciales,
  • les baux à loyer,
  • les relations avec les fournisseurs,
  • les accords financiers avec les partenaires commerciaux,
  • le droit des sociétés,
  • les assurances.

 

Les relations commerciales

Est-ce que mon cocontractant peut suspendre le paiement des redevances pour cause d’impossibilité ?

En règle générale, tel ne devait pas être le cas.

Les partenaires commerciaux auront tendance à ne plus vouloir payer les redevances dues parce que l’Etat ne leur permet plus de poursuivre leur activité.

Le cocontractant est généralement un entrepreneur juridiquement indépendant et supporte donc lui-même son risque commercial. Le fournisseur de système n’assure en principe pas une exploitation paisible et régulière, par exemple de son franchisé. La question se pose donc de savoir si les mesures prises dans le cadre de la pandémie actuelle entraînent une suspension du contrat. Un fournisseur de système (que ce soit dans les domaines de la franchise, de l’agence, ou de la distribution « classique ») continue cependant à mettre à disposition les prestations promises contractuellement (par exemple une licence commerciale sur un modèle d’affaires).

Que le franchisé ne puisse pas utiliser ces prestations dans la mesure convenue ne relève donc pas de l’impossibilité d’exécution au sens juridique du terme (que l’on désigne communément par « force majeure »), mais de l’impossibilité d’exploitation par le franchisé.  Ainsi, à notre avis, un franchiseur ne peut pas être tenu responsable pour cette situation. Le risque d’impossibilité d’utilisation (ou d’exploitation) repose selon cette conception uniquement auprès du franchisé. Les prestations promises par le franchiseur, notamment sa marque et son concept commercial, restent à disposition du partenaire contractuel. La redevance due au franchiseur est de plus en général liée au chiffre d’affaires réalisé. Si celui-ci est nul en raison de la cessation de l’activité, il en découle qu’aucune redevance ne sera due. Si en revanche d’autres prestations continuent à être dues et que le franchisé doit payer pour celles-ci, il en sera toujours redevable. En conséquence, des redevances fixes seront toujours dues.

 

Y-a-t-il d’autres bases juridiques qui seraient applicables aux situations actuelles ?

Dans un cas comme celui-ci, les juristes font appel à la notion de « clausula rebus sic stantibus ». Cette clause trouve application si les conditions suivantes sont remplies cumulativement : I - les conditions à la base du contrat se sont modifiées de façon substantielle, II - ces modifications altèrent gravement l’équivalence des prestations, III - ces modifications n’étaient ni prévisibles ni évitables, IV - il n’y a aucun comportement contradictoire de la partie.

Ce principe est particulièrement important dans le cadre de contrats de longue durée. Une évaluation d’un cas donné n’est possible que sur la base des circonstances concrètes et du libellé exact des clauses contractuelles. Il n’est toutefois pas exclu qu’un besoin d’adaptation se fera sentir, en particulier dans le cadre de l’obligation d’approvisionnement minimal qui figure souvent dans des contrats de distribution.

 

Est-ce que le partenaire commercial peut prétendre à une adaptation du système de distribution ?

Dans des systèmes de distribution intégrés, nous sommes d’avis que le fournisseur de système serait bien avisé de procéder à des adaptations de son concept à court terme et éventuellement pour une durée limitée lorsque cela est possible et de les mettre en œuvre rapidement.

D’une part ceci est absolument indispensable selon le domaine d’activité pour tout simplement pouvoir continuer à exister, d’autre part cela peut s’imposer en fonction de la situation juridique. Les franchiseurs ont en effet une obligation de procurer et de maintenir la jouissance de leur système en faveur de leurs franchisés/ partenaires contractuels. Plus le système est intégré et plus le devoir de diligence du fournisseur de système est important. Ceci constitue un véritable droit. Ne rien entreprendre n’est donc pas une option à l’heure actuelle (sous réserve bien entendu de la viabilité des mesures prises).

 

L’agent peut-il prétendre à une indemnité pour la durée où il est empêché d’exercer son activité ?

La réglementation sur le contrat d’agence prévoit en son article 418 m CO une indemnité en faveur de l’agent. A cette fin, plusieurs conditions doivent être réunies, deux simples et une plus complexe :

  • l’agent ne travaille que pour un seul mandant.
  • Le contrat court depuis 1 an au moins
  • La question se pose enfin de savoir si la règle posée à l’art. 418 m CO ne vaut que pour les agents personnes physiques ou aussi pour les personnes morales. Les personnes morales sont aussi visées lorsque l’agent doit dans les faits être considéré comme un quasi-collaborateur (agence unipersonnelle appartenant à cette personne). En cas d’agence « multi-unit » ou d’une agence générale avec de nombreux employés, où par conséquent l’activité propre n’est pas au premier plan, nous mettons en doute l’application de cette norme à des personnes morales. Cette interprétation est soutenue par le texte même de l’art. 418 m CO qui parle de rémunération équitable en cas d’empêchement de travailler en raison de maladie, de service militaire obligatoire ou d’une cause analogue.

 

Quels conseils donner au fournisseur de système ?

Il convient de rechercher la communication directe avec son réseau et de jouer fair-play. Les relations contractuelles doivent être examinées. Même si des redevances continuent à être dues, il est possible de convenir de moratoires de paiement. Il est toutefois recommandé de les mettre par écrit.

Il y a lieu d’examiner si des adaptations sont nécessaires au titre du devoir de diligence du fournisseur de réseau. Il est par exemple possible de mettre à disposition de ses cocontractants des foires aux questions, ou un numéro d’appel d’urgence ou encore de prérédiger des demandes de temps partiel. Ceci dans le but d’aider son partenaire commercial et aussi pour assurer une certaine uniformité dans le réseau.

 

Les baux à loyer

Est-ce que le fournisseur de système a le droit de suspendre le paiement du loyer vis-à-vis de ses bailleurs ou le partenaire commercial à l’égard du fournisseur de système pour la mise à disposition des locaux commerciaux ?

Cette question est actuellement très controversée. A priori aucune décision judiciaire n’a été rendue à ce sujet.   

En substance, il s’agit de déterminer si la situation actuelle qui rend impossible toute activité commerciale en raison des directives administratives pour combattre la pandémie doit être considérée comme un défaut de la chose louée ou comme une impossibilité d’exécution. Il va de soi que les bailleurs ont une réponse à cette question diamétralement opposée à celle des locataires.

A cet égard, il convient de distinguer (selon le principe du « ça dépend ») : Dans les cas où le local commercial ne peut plus être utilisé en raison de la décision d’interdiction édictée par les autorités, et que les parties ont convenu d’une description détaillée de l’utilisation du bien en question (par exemple l’affectation d’un local en vue d’un fitness, peut-être même encore avec des précisions sur les horaires et les conditions d’utilisation, ce qui sera souvent le cas lorsque l’affectation est directement contenue dans le contrat de distribution ou de franchise), et que cette affectation n’est plus possible suite à la décision de fermeture du Conseil fédéral, on peut raisonnablement admettre à notre avis qu’il y a un défaut au sens du droit du bail et qu’une utilisation conforme au but n’est plus possible. Dans un tel cas, le loyer n’est pas dû.

En revanche, si le but contractuel est décrit en termes généraux et que l’activité effective n’est pas directement interdite par une ordonnance fédérale (et donc que l’utilisation est encore possible en soi, mais pas forcément judicieuse ; par exemple, un take-away dans un centre commercial qui n’a plus de clients en raison de la fermeture des autres commerces du centre), il sera beaucoup plus difficile d’argumenter en faveur d’une réduction de loyer.

Il est souvent opportun de déposer une demande de réduction de loyer en dépit des nombreuses incertitudes (du moins comme notification formelle au bailleur du défaut de la chose), même si on n’ira pas forcément jusqu’au procès.

 

Quels conseils donner ?

Il convient de rechercher la communication directe avec le bailleur et d’examiner les relations contractuelles. Au besoin, déposer des demandes de réduction de loyer pour des raisons formelles (notification des défauts).

 

Les relations avec les fournisseurs

Quels sont les effets concrets de la crise du coronavirus sur les fournisseurs et leur capacité à livrer les marchandises ?

Les fournisseurs d’un réseau doivent prendre des mesures de protection, d’autant plus si leurs employés sont pour certains touchés par le virus. Ces mesures peuvent conduire à des arrêts d’activité, au même titre que des fermetures de frontière d’ailleurs. La conséquence est que le réseau ne peut plus être approvisionné correctement.

 

Quelles prétentions peuvent-elles être émises dans la situation actuelle ?

Les moyens légaux et contractuels usuels sont applicables en l’espèce, au même titre que pour les contrats de distribution, soit :

  • Retard de livraison
  • Impossibilité de l’exécution (« force majeure »)
  • Devoir d’information
  • Devoirs de diligence du fournisseur du système
  • Obligations de diminuer le dommage
  • Dommages-intérêts
  • Droits d’adaptation du contrat (« clausula rebus sic stantibus »)
  • Couverture d’assurance

 

Est-ce que le partenaire commercial est tenu d’accepter des commandes passées avant le lock-down ?

Nous sommes d’avis que tel est le cas lorsqu’il est directement touché par le lock-down.

S’il est interdit au partenaire contractuel de maintenir son activité en raison de l’interdiction prévue dans l’ordonnance Covid-19, on peut partir du point de vue qu’il est libéré de son obligation d’achat et de paiement.

Si en revanche le cocontractant ferme son local pour des motifs de rentabilité (par exemple un kiosque dans un centre commercial qui est trop peu fréquenté suite aux fermetures des autres magasins), il doit en supporter le risque lui-même.

 

Quelles sont les conséquences de commandes qui ne satisfont pas aux quantités minimales prévues contractuellement ?

Fréquemment, les fournisseurs de système lient des conditions préférentielles au respect de commandes minimales. De même, des participations aux frais de publicité sont souvent corrélées à des objectifs à atteindre. Les conséquences peuvent en être des peines conventionnelles ou la fin des contributions volontaires aux frais de publicité. On peut même envisager dans certains cas la résiliation du contrat.

Les fournisseurs de système devraient dans de telles situations invoquer la force majeure (impossibilité sans faute d’exécuter le contrat). A noter toutefois que cela conduit à suspendre les obligations de part et d’autre. Les tribunaux ont par le passé admis restrictivement la force majeure. Il arrive aussi fréquemment que les contrats eux-mêmes prévoient des adaptations pour ce genre de cas.

 

Quelles recommandations peut-on faire ?

Les rapports contractuels doivent être examinés et la communication directe avec le fournisseur doit être privilégiée.

Faire contre mauvaise fortune bon cœur : Il faut rechercher des alternatives dans le domaine de la supply-chain. Est-ce qu’il est nécessaire que tous les produits soient centralisés ? ou est-ce qu’il n’est pas possible que le franchisé s’approvisionne en produits locaux ?

Examiner quel domaine requiert une action proactive de votre part (notamment en cas de dépendance importante d’un fournisseur) et ceux où vous pouvez vous permettre d’adopter un comportement réactif (lorsque votre dépôt est encore bien rempli).

 

Les conventions de financement avec les cocontractants

Qu’advient-il des contrats de prêt en cours ?

Il arrive que les fournisseurs de système accordent des crédits à leurs partenaires commerciaux (notamment des financements au démarrage lors du lancement d’un franchisé).

Un franchisé aura juridiquement l’obligation de remplir ses obligations contractuelles résultant d’un crédit.   

 

Quels conseils peut-on donner ?

Il convient de favoriser la communication directe avec son co-contractant. Même si les intérêts du prêt sont toujours dus, on peut envisager un moratoire sur le crédit. Par souci de clarté il est recommandé de formuler de tels accords par écrit.

 

Le droit des sociétés 

Comment procéder en cas de joint-venture où des décisions importantes doivent être prises concernant l’activité commune ?

Il est de plus en plus fréquent que des fournisseurs de système concluent des joint-ventures dans le cadre de leur activité internationale. Les décisions à ce niveau-là requièrent souvent des décisions émanant des organes supérieurs ou dirigeants. Compte tenu des mesures de distanciation sociale la question se pose de la validité des décisions prises au niveau des actionnaires et du conseil d’administration notamment. L’ordonnance Covid-19 autorise la tenue d’assemblées des détenteurs de titres par la voie électronique ou écrite ou (pour les sociétés anonymes) par le biais d’un représentant indépendant. La participation personnelle peut donc être évitée. A noter que cette possibilité sera sans doute intégrée dans la prochaine révision du droit des sociétés.

Les décisions au niveau des organes décisionnels peuvent toujours être prises par voie de circulation ou par conférence téléphonique/vidéo, comme c’est le cas actuellement.

 

Quels conseils suivre ?

Les accords passés dans le cadre de la joint-venture doivent être examinés à la lumière des décisions qui s’imposent maintenant.

Il convient de favoriser la communication directe avec ses partenaires commerciaux.

 

Les assurances et la responsabilité de l’Etat

Les acteurs économiques subissent actuellement de lourdes pertes. Est-ce que l’assurance interruption de travail peut être sollicitée ?

Tel n’est pas le cas a priori.

Le partenaire commercial est souvent tenu de conclure une assurance interruption de travail. Les redevances doivent en conséquence être calculées sur les montants d’assurance versés. Les assureurs défendent le point de vue qu’ils n’ont pas à intervenir (même en cas de risque d’épidémie assuré) dans la mesure où il s’agit d’une pandémie selon l’OMS et que celle-ci ne fait pas partie des risques couverts (selon une calculation spécifique des risques).  Cette problématique n’a pas encore été tranchée par les tribunaux.

 

Une entreprise touchée par une décision administrative de fermeture peut-elle prétendre à des compensations autres que les mesures de soutien étatiques en vigueur actuellement ?

Tel n’est pas le cas.

L’Etat ne répond que du dommage causé de façon illicite. Les dommages provoqués par une action licite de l’Etat doivent être supportés par les intéressés eux-mêmes, à moins qu’une loi prévoie explicitement une indemnisation. La loi sur les épidémies ne contient aucune responsabilité de l’Etat en cas de mesures de prévention dans l’intérêt général.

 

Quelles recommandations suivre ?

Les bases contractuelles doivent être analysées soigneusement. Un dommage doit être annoncé sans délai à l’assureur à titre de mesure de précaution.

 

Connaissez vos droits – l’ingénierie juridique au temps du coronavirus

Même si en ce moment beaucoup de questions demeurent en suspens, certains aspects juridiques peuvent tout-de-même être pris en compte et évalués.

En premier lieu, le fournisseur des systèmes doit être au fait de sa propre situation légale.

Ensuite il faut jouer fair-play.

Nous sommes de l’avis qu’il est préférable d’éviter de vouloir imposer son point de vue par la voie judiciaire. Il sera bien le temps de le faire une fois que les tribunaux seront de nouveau pleinement opérationnels. Bien entendu, s’il y a urgence, il ne faut pas hésiter à agir pour préserver ses droits.

Les rédacteurs de cette foire aux questions se tiennent à votre entière disposition en cas de questions et vous aideront à trouver des solutions justes et fondées.

 

Responsable de la traduction juridique : 

Marc Häsler, Partner chez H&B Law, et responsable pour la Fédération Suisse de la Franchise Suisse Romande.

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